...à Adrienne
Andrée Job-Querzola : Le goût du riz au lait 1/3

Elle ne savait ni lire ni écrire. Compter ? Un peu, elle disait : comme ci comme ça. Pas tracer les chiffres, poser une opération, marquer un résultat sous le trait comme avait appris la gamine à l’école. Mais compter les pièces dans la paume ridée de sa main. Une main encore charnue, un anneau en or terni qu ‘elle n’avait jamais enlevé, prisonnier du temps et de l’ouvrage.

A six ans, debout sur une chaise basse devant l’évier, elle faisait la vaisselle chez la patronne. Elle l’avait raconté à la gamine qui passait son temps à l’école.

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Ne lui laissant même pas refaire le lit le matin, c’était bon pour elle, elle n’avait jamais eu la tête aux études.

Compter les pièces dans le creux du porte-monnaie noir, ridé comme ses mains et doux, avant le petit clic du fermoir. Compter les billets défroissés et repliés en deux dans la poche intérieure de la sacoche de cuir qu’elle posait sur le linge, dans l’armoire. Et la gamine attendait, prenait la pièce, le billet des étrennes.

Autrefois, quand ils étaient jeunes et que les temps étaient plus durs, elle avait ouvert une petite épicerie. Pas ici, pas en ville. Ils habitaient un village, son mari travaillait sur les chantiers, toujours parti à droite et à gauche. Elle tenait l’épicerie et faisait les comptes. Ceux des fournisseurs, dans un cahier, et ceux des clients qui ne payaient qu’à la fin de la semaine, dans des carnets séparés. Avec des ronds, des croix, des bâtons dessinés au crayon sur les pages, puis rayés quand chacun avait payé ce qu’il devait. Elle expliquait à la gamine qui n’en revenait pas.